Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.

se cacher ; il rôdait partout. Dehors, dedans, il montait, descendait, surgissait d’un coin de cour, d’un coin d’ombre, restait à l’affût derrière un mur, un arbre, se glissait à l’infirmerie, à la cuisine, à la cantine. Et toujours un gros cigare entre ses lèvres mauvaises, qui faisaient suçoir à chaque bouffée ; le képi sur le front, menaçant ; un dos de tête ingrat, avec des cheveux sales sur la nuque, et la veste troussée par la main dans la poche, découvrant un derrière plat d’homme sans âme, un derrière inquiet, inquiétant, qui devait se dérober sous le coup de pied vengeur. — On sentait que sa face aussi, à la peau boutonneuse, en attirant les gifles, devait leur échapper. Il exaspérait, puis désarmait, à la fois impudent et servile. Il tenait du mauvais chien de berger, qui s’en prend toujours à la vache boiteuse, mais évite les coups de corne ; et il se repliait vers l’officier, rampant et l’échine basse, l’air de dire : « Sois content : j’ai bien fait mon métier… »

Son métier n’était pas d’aller au feu comme d’autres, mais de rabattre, de racoler, de faire la police de la caserne, d’être le gendarme-fantassin. Il ne laissait pas les hommes souffler. Aux malades, il demandait tous les quarts d’heure : « Ça va-t-il mieux ? », pressé de les inscrire sur sa liste de départ.