Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dîner, un dîner à trois francs, dans un hôtel bourgeois. Il pouvait se permettre cela ; voilà deux mois qu’il ne dépensait rien.

Il entra donc à l’Hôtel des Trois Rois, au coin du quai et de la Grand’Rue.

Hôtel doté du chauffage central, mais qui n’a que cela de moderne, car c’est un bon et brave hôtel pour voyageurs curieux de retrouver des traces de vieille France. On y entre de plain-pied, dans une salle à haute cheminée, où flambe un important feu de bois. Sur le rebord de la hotte, une armée de bougeoirs en cuivre, astiqués et luisants, marque une maison irréprochable. Un fumet de volaille avertit que la chère est bonne. Une grande armoire qui s’ouvre sur des piles de linge aligné, fait pressentir des nuits moelleuses dans des draps frais. C’est un hôtel savoureux, comme on en rencontre dans les récits de chasse, et qui sent son terroir et la meilleure province. Devant les chenets de son feu, on doit toujours conter des histoires gauloises, impayables.

Même en guerre on parlait beaucoup dans cet hôtel. Il y avait là des gens de Reims, trois ménages quinquagénaires et pleins de dignité dans la fuite, qui étaient venus attendre en Anjou que leur ville fût libérée des Allemands et des obus.

Épicier en gros, juge suppléant, ancien pharmacien, telles étaient les étiquettes des chefs de