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prenant avidement le verre de ses deux mains. Elle ajoutait : « Déguste ; ne te presse pas ; sois sage. » Et elle retournait à son fauteuil, juste le temps d’arriver au second grain du chapelet, car à chaque prière quelqu’un se plaignait, comme pour qu’elle ajoutât un effort à sa supplication.

Il faut l’avoir suivie, étudiée, il faut avoir eu sa cornette tout près de soi, pour comprendre ce que ce cœur de femme, dans un corps pourtant délicat, était capable, pendant neuf heures interminables, de faire et de dire à de pauvres diables en proie aux misères de la guerre.

Ses yeux purs inspiraient la confiance. Quand elle promettait : « Ça va se passer », la douleur semblait moins aiguë ; et c’était merveille surtout de voir avec quelle habileté légère elle se coulait d’un lit à l’autre, s’engageant toujours à revenir tout de suite, et redisant vingt fois, si elle passait sans s’arrêter : « Me voilà… me voilà. » — On ne peut pas dire qu’elle marchait dans ce dortoir ; elle glissait. On la voyait passer sans l’entendre : éveillé, on se croyait somnolent.

Gaspard, qui depuis quelques semaines se sentait bien de l’indulgence pour les curés, se serait fait maintenant hacher pour une sœur. Il expliquait aux camarades :

— C’est des femmes qu’ça ne pense qu’à faire le bien. Et elles vous causent pas du bon Dieu,