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uns les autres. Le cauchemar de ceux-ci est un assaut furieux ; ceux-là hurlent, blessés ; d’autres commandent ; d’autres gémissent. Et la sœur d’abord, la sœur si petite, la sœur Bénigne les défendait contre eux-mêmes dans cette lutte de fantômes, où elle restait calme, courageuse, tenace dans sa bonté…

Elle s’approchait d’un lit. Elle disait : « Voyons, petit, qu’est-ce que tu racontes ? Es-tu fou ! » Elle rentrait la main sous les draps, essuyait le front, remontait l’oreiller, et le « petit » se calmait, pour qu’elle allât plus loin. De son pas feutré, elle passait de l’un à l’autre. À mesure qu’elle se penchait sur chacun, la grande bataille imaginaire s’apaisait, s’éteignait ; quelques soupirs, des ronflements ; et le vrai sommeil où l’on oublie venait calmer, grâce à elle, ces élans dans le vide et ces terreurs pour rien.

Le cœur content, elle s’asseyait alors deux secondes dans un mauvais fauteuil, contre la table où, sous un abat-jour épais, brûlait une petite lampe à la mèche baissée. Elle prenait son chapelet. À peine avait-elle mis les doigts au premier grain qu’une voix geignait : « Ma sœur… » Elle se levait : on entendait le chapelet qui roulait sur sa robe.

C’était Gaspard qui l’appelait… d’abord parce qu’il l’aimait bien : Gaspard l’aimait autant que