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Elle s’appelait sœur Bénigne. Elle entrait chaque jour dans le dortoir, à la nuit tombante, et sa seule présence était un soulagement aux appréhensions des blessés, qui redoutent tant ces heures sombres, où les cauchemars, la fièvre, les douleurs, les étouffements, font sournoisement l’assaut des lits.

Elle passait la porte, disait : « Bonjour » de sa voix fluette ; tous les soldats, même ceux qui tournaient le dos, répondaient, ensemble : « …jour, ma sœur » ; et au lieu de trois femmes qui toute la journée s’empressaient pour eux, les trente blessés n’avaient plus soudain que cette sœur, petite et maigre, aux épaules étroites, à la mince figure, mais qui les faisait tous sourire d’aise, parce qu’elle était pour chacun un secours assuré contre la nuit.

La nuit ! C’est si terrible toute une nuit ! — Un soldat qui s’est battu, qui est épuisé, qui souffre, est comme un grand enfant docile et malheureux. Il ne suffit plus d’un pansement. Dès qu’il fait sombre, il faut le consoler, même s’il ne demande rien. Pour marcher sous le feu, il n’a pas eu peur : il a peur ensuite quand il en est sorti. Et c’est un spectacle impressionnant et fantastique que la première nuit d’hôpital d’une trentaine d’hommes couchés dans la même salle, mais qui, n’ayant pas connu l’horreur des mêmes combats, bataillent ensemble avec leurs rêves, dont ils s’effraient les