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Est-ce qu’il rencontra la charmante Mme Arnaud ? Lut-il encore le journal, ou simplement profita-t-il de nouveau de sa faculté d’oubli si utile et si divertissante ? Bref, le soir du même jour, Mlle Viette qui l’aimait bien et se divertissait de lui, le surprit rose, frais, souriant, au chevet d’un blessé pâle, essoufflé, inquiet de soi.

Il lui tendait une potion. Le blessé disait :

— Vous y avez été aussi, vous, là-bas ?…

Il répondit sans se troubler :

— Ai-je une tête à ne pas y avoir été ?

— Oh ! fit l’autre, c’est pas ça que j’veux dire…

— Alors, avale ta potion, dit Dudognon : ça te fera dormir et tu ne penseras plus, c’est ce qu’il faut.

Mlle Viette conta la chose à Gaspard. Ils en rirent ensemble. Ils faisaient une paire d’amis. Il lui avait déjà raconté bien des choses : son métier, sa vie à Paris, ses batailles, la mort de Burette, l’héroïsme du capitaine Puche. Elle, elle lui apportait des journaux ; elle lui répétait ce que son père pensait des Allemands, de la victoire de la Marne, de la destruction de la cathédrale de Reims ; et Gaspard, qui se disait que ce père-là était un monsieur, l’écoutait avec déférence, songeant en soi-même : « Pour une jeune fille d’la haute, elle est pas fière celle-là. »