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GASPARD

— C’est moi, dit un garçon de salle, que j’ voudrais rentrer l’eau bouillue dans la table de nuit.

Elle s’écarta ; puis, revenant, s’asseyant, prenant les mains de son fils :

— Ta barbe ! Que tu es comique avec ta barbe ! Il y a du noir, du blond. Tu es affreux : je t’adore.

Il ne put s’empêcher de sourire ; et il bredouilla, car il était très essoufflé :

— Au moins… les infirmières n’auront pas le béguin.

Elle continua :

— Mais t’es-tu vu ? Oh, ce poilu… mon poilu !

Et elle se remit à le manger de caresses.

Lui ne s’abandonnait pas comme elle. La souffrance le rendait un peu raide dans des bras aussi tendres. Il demanda d’une voix coupée :

— Quand as-tu reçu ma lettre ?… Comment es-tu déjà là ?

En s’essuyant les yeux, elle se remit à rire :

— Voulais-tu que j’attende le Jour de l’An ? Je serais venue pour les étrennes. Grand gosse ! Tu sais pas ce que j’ai vécu. Toi tu te battais : les jours filent ; mais moi, seule à la maison, avec des idées horribles… Car penser, c’est affreux ! Et les nuits, oh, les nuits, je veillais, va, comme toi là-bas !

Il lui serra longuement la main. Puis, tout à coup :