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GASPARD

« Merci… Vous êtes bien bonne ». Puis, sa tête repartait sur l’oreiller, et on eût dit qu’il voulait rattraper d’un coup ses deux mois de nuits blanches, dans un de ces sommeils immobiles et si profonds, qu’on ne voit qu’aux enfants et aux soldats.

Et c’est sa mère qui l’éveilla.

Sa mère, comment parler d’elle ? Il eût fallu la voir, — la voir arriver, regarder l’hôpital, passer le seuil en fermant les yeux, puis entrer dans la loge et dire :

— Ma sœur… mon fils est ici… Pierre Fontaine. Je viens de Paris pour le voir…

Ah ! cette angoisse et cette autorité dans le ton, qui distingue toutes les mères ! Car les autres sont plus timides : la peur leur donne de la confusion. Tandis qu’une mère, en deux mots, demande tout de suite : « Où est-il ? Qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce qu’on m’en a fait ? »

À celle-ci, comme par hasard, c’est Gaspard qui répondit. (Il était là, dans la loge, qui bavardait avec la sœur.) Il dit :

— Madame, vous faites pas d’ mousse. L’ docteur il dit qu’ ça va.

— Vrai ? fit la mère.

Et il passa dans ses prunelles toute la lumière qu’on voit aux yeux d’une accouchée, quand on lui met son petit dans les bras pour la première fois.