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GASPARD

doit jamais faire ranger du linge blanc que par une jeune fille blonde.

Au surplus, que ne rangeait-elle pas ? Où n’était-elle point ? Que faisait-on sans elle ? Elle courait si vite ; devinait de si loin ; pensait d’avance. Et si par hasard un blessé pouvait se dire : « Tiens, elle n’a pas songé à ça… », sans doute lui voyait-elle des yeux étranges, car elle s’approchait, demandant : « Qu’est que j’oublie ? »

— Et elle trouvait.

Pour ses malades, elle choisissait les draps les plus doux, s’excusant : « Ils sont peut-être un peu vieux… » Dès les fraîcheurs d’octobre, elle leur offrit de l’eau tiède : « Pas froide ? Ça ne vous fait rien ? » Et de chez elle à la dérobée, elle apportait des fruits, des bonbons, des images, car elle avait la main petite, mais juste ce qu’il faut pour cacher une surprise. — Était-elle rouée ? Son front bombé parlait de malice. Mais ses ruses n’étaient rien que de la bonté qui se cache. Esprit français, pudeur du cœur, âme de jeune fille délicate, qui faisait dire à Gaspard :

— C’te p’tite-là, c’t’ un amour !… Quand j’ serai dans mon bocal, j’y enverrai des souvenirs.

Ces trois femmes, loin de se nuire, se complétaient entre elles. Elles formaient un triptyque de la vie féminine. Le ton de Mlle  Anne, doux, ré-