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GASPARD

la langue si déliée. On se taisait, afin de penser à elle.

Il fallait, pour la faire oublier, toute l’impétuosité de Mlle Viette, la troisième de ces femmes. Cette jeune fille était la Vie.

Toute petite mais si bien campée, et prompte, ferme, agile, — un pied alerte, une main délurée, un œil aux aguets, une cervelle pleine de fantaisie, le cœur prompt, vif, sitôt touché, sitôt donné. Elle émerveilla Gaspard. — Et lui, l’homme des faubourgs à la voie grasse, qui adorait Mlle Anne et qui rêvait de Mme Arnaud, il sentit tout de suite ce qu’il y avait de spirituel et de racé dans cette vraie petite Française, si fine et si vivace. Un jour, n’y tenant plus, il lui dit :

— Est-ce pas, mam’selle, v’s êtes de Paris ?

Non : elle était de l’Anjou ; elle avait été élevée dans cette sage et maligne province, et elle le disait les yeux si clairs, avec un rire si franc, que Gaspard, pour la première fois de sa vie, se demanda s’il y avait en France quelque chose de mieux que sa grande ville.

La vérité, c’est que ces deux êtres, si lointains d’apparence, étaient tout proches de cœur. La même pureté dans l’amour-propre. Jamais il n’aurait dit : « C’ que j’ souffre ! », lorsque, penchée sur lui, grandissant sa petite taille, rapide, gentille, avec on ne sait quelles ruses de doigts, elle