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GASPARD

Quand elle passait, on ne l’appelait pas : on la regardait passer.

C’était elle qui s’approchait, toujours avec quelque exquise intention. Un verre traînait : elle venait y mettre une rose. — Elle disait aux fiévreux : « Soulevez-vous, que je change votre taie d’oreiller. » L’homme souriait de bonheur, frottant sa joue chaude sur le linge frais, et il murmurait : « Merci… merci, Madame… » sans trouver d’autre mot, quoique ce fût trop peu de lui dire : « Que vous êtes bonne ! » Sa bonté avait tant d’aisance et de grâce ! — Heureux les blessés que sa main fine a soignés, dorlotés, fait manger. On la sentait jeune mère, adroite et caressante. Comme on prend un enfant, elle prenait son « bonhomme », hirsute et maladroit. Elle le soutenait, sans qu’il l’écrase ; elle lui disait : « Repose-toi sur moi » ; l’autre balbutiait : « Oh ! Mâame… ai pas faim. » Elle répondait ; « Si… si… tu vas voir… ça va venir. » Elle s’obstinait ; elle soufflait sur la soupe ; l’homme détournait la tête : « Oh non, Mâame, j’ peux pas… » Alors, doucement, les yeux sur les siens, pendant qu’elle lui glissait la cuiller dans la bouche, elle murmurait en confidence : « On peut ce qu’on veut… quand on est Français. »

De Mme Arnaud, lorsqu’elle était partie, personne ne trouvait rien à dire, même Gaspard à