Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/182

Cette page a été validée par deux contributeurs.
175
GASPARD

Le soir, avant de partir, elle n’aurait jamais oublié de souhaiter bonne nuit à chacun : elle savait que les hommes, comme les mioches, dorment mieux, quand une main de femme les borde. Elle faisait le tour de chaque lit ; elle prenait une voix un peu enfantine : « Bonsoir, mon bras malade… Adieu, l’homme du Midi… Au revoir, la pauvre épaule… Bonne nuit, Gaspard, et ne remuons plus. »

Gaspard disait :

— J’ rentre dans ma coquille ; j’ fais l’escargot ; c’est mon métier.

Elle avait un bon sourire et elle s’en allait. — Et alors, dès qu’elle avait fermé la porte, le paysan, l’ouvrier, le petit soldat imberbe comme le poilu père de famille, tous, dans leurs lits, disaient avec Gaspard :

— Vieux, celle-là… c’ qu’elle est bath !

Puis ils avaient une façon d’ajouter : « Maintenant, on dort », comme dans une hâte d’avaler la nuit d’une gorgée, pour la voir vite revenir. La seconde de ces trois femmes ne méritait pas moins d’être attendue.

Lits côte à côte ; blessures en rang ; quoi de plus morne qu’un dortoir !… Dès qu’elle entrait, c’était une chambre. — Elle ouvrait les fenêtres au soleil ; elle apportait des fleurs, qu’elle tenait entre sa poitrine et son bras nu. Tout de