Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.
163
GASPARD

— Mais pisqu’on n’en a pas vu ! dit Gaspard.

— Eh bien, vous y retournerez ; mais je veux la paix. C’est compris ? Restez où vous êtes. Chaque fois qu’on vous arrête, vous visitez le département. J’en ai plein le dos. Obéissez.

— Ah ! la la !… Chéri ! murmura Gaspard.

Puis il dit aux camarades :

— C’est quand même dégoûtant. On saura même pas quelles gueules qu’ils ont.

— Pouh ! dit l’homme d’équipe, c’est des vrais cochons… Tout rasés, pas d’cheveux ; on a envie d’faire des peaux d’tambour avec leur couenne.

— Ah ! dis donc !

Gaspard serrait les poings et se grattait la tête.

— Et dire que nous, nous des blessés, des victimes, on n’a pas l’droit d’aller les r’garder sous l’nez et d’leur-z-y dire ça : « Vous êtes des cochons, v’s entendez, des cochons ; un peuple d’cochons, avec des têtes ed cochons… tas d’cochons ! »

Le train sifflait. Il fallait remonter dans les wagons. L’homme d’équipe risqua :

— Paraît qu’maintenant vous allez pus bien loin.

— Oui… oh ! on la connaît ! dit Gaspard. Nous bourre pas l’mou, va, fais ton service.

— Mon service ! Mais moi… moi j’vous dis ça…