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GASPARD

de fesse, c’te saleté d’saloperie ! Qu’on m’la prenne ! Qu’on m’la coupe !… J’en veux pus ! J’en peux pus ! On est traité comme d’la viande morte… Les députés m’dégoûtent ! D’ma vie je r’voterai pas !

Enfin, à Tours, on le vexa dans son amour-propre….. national. On avait garé le train pour deux heures devant un dépôt de machines, et les hommes, qui s’étaient encore échappés de leurs wagons pour humer l’air rare de la nuit, bâillaient, les yeux fixés sur les lumières des disques et d’un poste d’aiguilleur. Un homme d’équipe passa, qui leur dit :

— Avez-vous vu les Boches ?

— Les Boches, grogna Gaspard, on n’a pas pu les voir : ils foutaient l’camp comme des lapins !

— Non, mais là… là… les Boches qui sont là.

— Où ça, là ?

— L’train éclairé, d’vant vous.

— Quoi, c’est des Boches ?

— Trois cents prisonniers.

— Sans blague ?

— Ben, viens voir.

— Non, non, non ! J’interdis formellement qu’on traverse les voies, dit, d’un ton sec, l’aide-pharmacien qu’à la longue, sans doute, la fatigue énervait. Assez de vadrouilles ! Les Boches, il fallait les voir là-bas.