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GASPARD

si heureux. Il n’en revenait pas. Distribution gratuite, abondante… et féminine ! Il ne souffrait plus ; il avait de la joie plein les yeux, et il prenait, prenait, et il donnait lui aussi, il donnait à tout le monde ; et il disait encore :

— Ça, c’est du socialisme !… ça c’est un syndicat !… ça c’est du bon travail !

Si bien qu’une grosse dame de la Croix-Rouge, avec une figure aimable et vivante, s’approcha et lui dit :

— Vous êtes un brave garçon… Comment vous appelez-vous ?

Il la regarda d’abord. Puis, soudain, il répondit d’une voix mal assurée, où il y avait certes de l’étonnement, mais peut-être aussi un peu d’orgueil, bien légitime :

— J’suis… j’suis Gaspard… d’la rue d’la Gaîté.

Sa fierté, hélas ! ne fut pas de longue durée. Lui se croyait dans la terre promise, et pensait y rester ; mais la nuit tomba pour la quatrième fois sur ce train misérable, et on repartit encore, toujours, pour où, mon Dieu, pour où !… Qui croire, et qu’espérer puisqu’à chaque ville on leur disait : « C’est dans la prochaine qu’on vous couche. »

Se coucher !

— Ah, ma fesse, gémissait Gaspard. C’te carne