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GASPARD

tout de suite on voyait des femmes surgir de toutes tes maisons.

Villages charmants, petites villes si gaies, pays si clair, que vos jeunes femmes et vos jeunes filles ont de grâce dans les yeux quand elles accourent en chapeaux de paille, en robes d’été, avec des fruits plein leurs deux mains ! Le blessé, tout ému, prend les mains et les fruits ; il bredouille de plaisir ; ses peines sont oubliées.

L’une apportait des raisins qu’elle venait de cueillir, avec leur fleur fragile comme l’aile d’un papillon, qui s’évanouissait dans de grosses pattes de soldats. L’autre tendait des pêches petites et rousses, vraie caresse pour la main avant d’être un régal pour la bouche. Une autre tenait des poires, lourdes et lisses : elle avait couru : sa main les avait tiédies ; les poires embaumaient. Et toutes ainsi, elles s’en venaient des vergers tourangeaux, jeunes filles de France vivant dans l’air des jardins les plus doux, — des jardins si variés, provinciaux ou champêtres, ceux qu’on ne voit pas de la rue, les jardins discrets et riches qui embaument l’arrière d’une maison et sont la joie secrète des demeures privées, — puis les jardins ouverts, libres comme les champs, les jardins des collines où les nuages font des ombres, les jardins sur les pentes, au soleil, tout le jour.