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GASPARD

de sa blessure, et dans la nuit, cahoté par le train, il se mit à geindre comme tous les autres, — car un train de blessés, la nuit, ce n’est qu’un immense geignement, tant il semble que l’ombre étouffe et pèse sur les douleurs. Angoisses, lassitude, heures interminables. Que faire de ses bras, de ses jambes ? Le corps est comme une loque, qui se laisse aller sur le voisin, mais le voisin soupire, se dégage, et, rompu lui aussi, il s’affaisse à son tour. De l’un à l’autre, les hommes ont l’air de se passer le poids de leur peine, jusqu’à, ce que le jour paraisse… Ah ! le jour, — si merveilleux, — qui vient alléger l’air en donnant de la clarté ! Que dire lorsque c’est en Touraine que le train roule, à l’heure où le soleil se lève… La Touraine ! En septembre ! Quand on vient de se battre et qu’on sort plein de poussière et de sang du supplice d’une bataille : la Touraine et ses jardins, et ses gares dans la verdure, et ses jeunes filles, et ses fruits !


C’était un matin doux et doré. Les fils du télégraphe portaient un peuple d’hirondelles, en train de faire leur toilette. On apercevait la Loire jaune, et ses châteaux. Il y avait des fleurs dans le moindre enclos, le long de la voie. Le train s’arrêtait pour qu’on les vît. Il s’arrêtait à toutes les haltes, parfois même aux garde-barrières, et