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GASPARD

blances si vraies ! Une petite vieille, toute mince et ratatinée, après qui l’on courait depuis une demi-heure, et qui se cachait derrière les arbres, trottait, jappait, déroutait toutes les recherches. — La lune seule devait la voir et la suivre, — la pleine lune avec son air inquiétant, car elle semble à la fois si niaise et si moqueuse, qu’on se demande si elle n’observe point, et si son gros bon sens de lune ne lui donne pas un narquois dédain pour toutes nos incongruités terrestres. — Une vieille folle, à minuit dans un champ, se sauvant et hurlant, des blessés tout sanglants qui cherchent à l’attraper, histoire de rire, l’extravagance humaine en train de jouer un acte de son horrible comédie, la pâle lumière d’un drame, des cris, des geignements, des coups de sifflet, deux trains bondés de misères qui se plaignent ensemble dans la nuit, déchets de la paix et plaies de la guerre, la mort rôdant et serrant à la gorge des malheureux qui râlent sur des litières de wagons à bestiaux, et la Folie — la Folie à quatre-vingts ans d’âge, qui profite d’un affolement afin de reprendre sa liberté, — quel spectacle pour la lune si calme, si claire et si contemplative !

— Par ici, faisait Gaspard, coupe par là. Hop ! J’ la tiens !

— Ah ! ah ! faisait la vieille.

— Mais c’est qu’elle pince