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GASPARD

— Fous-toi d’abord !

— Et pis ?

— Qu’est-ce tu vois ?

— Rien.

— Ça va, t’es un pied !

Et comme l’autre grognait, il lui lançait :

— T’ sais pas qu’ j’attends mon train d’ wagons-lits : Poincaré m’envoie l’ sien.

À la vérité on devait en voir un autre.

Le troisième jour, vers minuit, par une lune pour amoureux, comme on venait de passer Rambouillet, on rattrapa un train arrêté, comme perdu en pleine campagne, d’où s’échappaient des appels étranges et des cris. Gaspard renifla : « Qui qu’ c’est donc ? Buffalo ? »

Et une fois de plus, il se laissa tomber de son filet. Il erra sur le ballast. D’autres l’imitèrent. L’aide-pharmacien cria : « Remontez, sacré dié, remontez donc ! » Le livreur dit négligemment :

— J’ai perdu mon alliance…

L’autre reprit, brutal :

— Et vous ?

— Moi, dit Gaspard… moi aussi.

Le pharmacien en fit demi-tour.

Et Gaspard, le livreur, le boueux, s’avancèrent jusqu’à la « loco ». Le chauffeur leur dit :

— C’t un train d’ fous.

— Sans blague ?