Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/154

Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
GASPARD

qui était à feu et à sang, jusque dans l’Anjou tranquille, où les vignes mûrissaient doucement sous le soleil.

Gaspard prétendit :

— Les cirques s’ baladent toujours à c’t’ allure-là ! Quand on trimbale des phénomènes, on fait la pause à tous les patelins.

On traversa l’Argonne, encore intacte et si verte, d’un vert sauvage. Gaspard, moqueur, disait :

— Au r’voir ! Au r’voir ! C’est toujours pas par ici qu’ j’ach’terai mon château pour chasser l’ lapin !

On passa par Reims, où la cathédrale vivait les derniers jours de sa vie séculaire, et aucun de ces hommes ne la regarda comme il aurait dû. On tourna Paris, ce qui fit rager le livreur (« J’ serais descendu qu’ huit jours : j’ vous aurais pas r’tardés ! »). Et enfin on traversa la délicieuse Touraine, où les châteaux de France avaient l’air de s’être alignés pour ces premières victimes de l’ennemi. Le boueux en fut ému. Il soupira : « On savait y faire, dans la bâtisse, au Moyen Àge ! »

Le plus poignant, c’était de revoir ainsi, une à une, les provinces pour qui venait de se vivre ce premier cauchemar cruel ; et il semblait que le train allât un pas de tortue ; afin que ces soldats, jusqu’aux plus simples, aient le temps de com-