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GASPARD

où fume le train sauveur, qui va partir pour des provinces tranquilles, le major dit : « Celui-là… c’est fini… laissez-le. »

Le train de blessés où monta Gaspard était tout semblable à celui qui l’avait amené, trois semaines avant, dans ce pays tragique, Il souffrit même de n’avoir plus de ses anciens « copains » pour le leur faire remarquer. Depuis cette bataille, il semblait dans un autre monde. Rien que des têtes étrangères. Alors, tout seul, il dit : « C’ wagon-là, j’ le reconnais ! » Trains de départ et d’enthousiasme, que c’était loin déjà ! On avait laissé les fleurs et les branchages ; mais tout cela pendait, lamentable et fané, et c’était un train de retour, de souffrances et de geignements.

N’importe, grâce à Gaspard — (ce grand diable mettait de la vie partout), — grâce aussi à deux Parisiens qui s’installèrent dans son wagon, l’un boueux à la Butte-aux-Cailles, l’autre livreur rue des Haudriettes — ce train de blessés fut un des plus curieux et des plus grouillants que la France ait vus durant cette guerre.

Et Dieu sait si elle en a vus ! Tous bien longs et bien lents. Mais celui-ci était interminable (la machine et l’arrière dépassaient toutes les gares) et il ne mit pas moins de cinq jours — toute la première semaine de septembre, semaine de retraits et d’angoisses — pour aller de la Lorraine,