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GASPARD

de supplications plus sincères que cet appel au secours de tant de corps déchirés. — La toute modeste église de village, quand elle sert de première halte à des soldats sanglants, échappés des batailles, c’est l’image la plus simple et la plus émouvante de la misère humaine, qui interroge et qui supplie. Pourquoi ces douleurs, ces plaies, ces agonies ? La chair tout entaillée geint et crie sur la paille, et les pierres de l’église qui l’abritent un instant ont l’air de dire : « Nous, nous savions tout cela… et nous vous attendions. »

La lune disparut. Le jour commença de naître.

— Debout ceux qui peuvent marcher, dit le major.

— Moi, j’ peux pas, grogna Gaspard.

Et il se leva.

À la porte quelques infirmiers, le curé, toujours avec sa bougie, la vieille avec son broc, et des paysans qui menaient des charrettes, essayant ensemble de les faire avancer, et n’arrivant qu’à enchevêtrer leurs roues. Les hommes juraient ; les chevaux hennissaient. C’était, dans la première clarté grise et lugubre du jour, une mêlée à décourager les meilleurs.

Mais avec du temps, tout dans la vie se déblaie ; il arrive même que des blessés meurent en route : dans un chaos de voiture part leur dernier soupir ; et quand on s’arrête enfin devant la gare