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GASPARD

ne pas marcher sur les pieds des blessés, il s’en alla jusqu’à l’autel, où les rayons de la lune blondissaient de petits vases blancs et des plantes vertes.

Un grand Christ en bois peint, d’une sculpture naïve, qui sans doute faisait fond à l’autel, s’était écroulé là, et, dans sa chute, un bras s’était brisé qui, par la main, restait quand même lamentablement pendu sur sa croix. — Tout près du Christ, sur une botte de paille, un blessé haletait, se tenant le cœur. Gaspard s’en vint près de lui.

— Où ça, qu’ t’es amoché, toi, mon poteau ?

L’autre répondit d’une voix sourde, en frappant son poumon :

— Dans l’ soufflet…

— Une balle ?

— Voui.

— À nos âges, voir ça !… Et t’es d’ Pantruche ?

— Voui.

— Qué malheur !… Dis, vieux… tu peux pas t’ pousser ?

— Peux pas…

— Oh ! quoi, j’ suis un copain… Ou alors, attends voir… j’ vas tout déménager.

Arc-bouté sur un genou, il prit le Christ à pleins bras ; il le souleva d’un rude effort et le poussa tout contre le blessé pour se faire de la place ailleurs ; puis il dit :