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M. Fosse, une date fatale c’était un compte qui tombe juste. « Deux Août : mobilisation », cela s’imposait à lui et il en pâlissait, mais sans acrimonie.

La moitié de A… pensait comme ces quatre hommes ; l’autre moitié ne pensait pas.

N’importe : la soirée était belle. Le soleil baissant, les toits devenaient roses. Un rayonnement heureux caressait les maisons. Le bleu du ciel, en s’allégeant, donnait des ailes à la soirée ; et il y avait des promesses dans la tiédeur de l’air.

Le lendemain, on vit s’en venir les gars des champs. En carrioles, par le train, sur des vélos, à pied, — tous les jeunes hommes des fermes à dix lieues à la ronde. Ils marchaient pesamment, et ils sentaient l’étable. Leur baluchon dans un mouchoir, souliers à clous, pantalons-damiers, chapeaux mous, gilets à manches. C’étaient les « terreux », une toute autre race que les gens de petite ville. Ils avaient laissé leurs pommiers, leurs bestiaux et leurs femmes, et ils s’en venaient gourds et surpris, mais de se revoir les éveillait :

— Tia ! l’ gars Pinceloup ! Ah ! c’te vieille vache !

— Ça va, mon gars ? Tu viens t’ faire tuer ?

— Dame, ça s’ peut ben. Personne sait ren.

— Ça sent pas bon pour la fanfare.

— C’est pus la chasse ; on est gibier.