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— M’en fous, dit Gaspard avec colère, ah, m’en fous bien !… C’est… c’est quand même trop malheureux d’voir tout ça !…

Et se retournant tout à fait, nez contre terre, il éclata en sanglots, la tête sur son bras.

La guerre ! Quelle horreur ! On sort de la vie quotidienne et courante, et on entre dans un enfer, où tous les éléments semblent unis pour vous trouer, vous déchirer, vous supplicier. Vous êtes avec des camarades : ils tombent. Vous les aimez : ils meurent… Au secours !… À boire !… Et les femmes, là-bas, les enfants !… Et Burette !… Chaque idée qui revenait à Gaspard l’étouffait à la gorge. Et il pleurait, de toute son âme.

Quand on eut achevé de le panser, il avait pourtant un peu retrouvé son calme. Il se retourna avec l’aide d’un infirmier, et il s’appuya sur une cuisse.

Puis, quand le major l’eut quitté, il renifla, s’essuya les yeux, et sentit soudain un immense délabrement. Alors, il bredouilla tout de suite : « Cré nom… j’ai faim ! » Et il repensa à son bœuf.

Sa musette était à côté de lui ; il allongea la main, l’ouvrit, tira sa viande, et dans sa peine, dans sa faiblesse, dans sa misère, il eut comme une joie puérile, et fut tout attendri à l’idée qu’il allait manger.