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GASPARD

Mais l’ennemi, maintenant, étendait son tir. Du haut d’un bois d’où il embrassait la plaine, il venait sans doute de découvrir tous ces blessés qui, comme Gaspard, s’en allaient derrière les lignes françaises, clopin-clopant, seuls, à deux, misérables et gémissants, et pressant le pas, soutenant leurs plaies jusqu’à l’ambulance qu’ils cherchaient de loin d’un œil hagard. Il décida cruellement de les achever. Et alors, ce fut une nouvelle pluie d’obus, plus épouvantable que les autres, car tous ces hommes atteints n’avaient plus ni la souplesse, ni l’énergie de se coucher vite, de cacher leur tête, et beaucoup étaient atteints de nouveau, deux, trois fois ; et ils repartaient toujours, hurlant plus fort, affolés, tout saignants, des loques de chair, sur qui tes canons allemands s’acharnaient.

Gaspard, lui, n’était pas effaré. Il était sublime, simplement. Il allait son pas, suant et soufflant, et il disait :

— Tant pis !… J’ m’en fous ! Au p’tit bonheur !… Si on est crevés ensemble, on s’ra crevés ensemble !

— Oui… oui, murmura Burette, mais… mais ne me secoue pas trop.

— C’est qu’ t’es rien lourd, dis donc, s’pèce de rosse !

À ce mot, Burette, à qui la souffrance faisait