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GASPARD

son fusil ; il ne garda que sa musette, parce que dans sa musette il y avait le morceau de bœuf ; il prit son « copain » à pleins bras, comme il aurait pris son enfant ; et le voilà parti à recommencer dans l’autre sens tout le chemin parcouru par bonds audacieux sous un feu terrible.

Il ne l’était pas moins, et les Boches n’avaient nullement l’air disposés à le ralentir. Gaspard traversa, haletant, avec son fardeau, un long champ où les balles des mitrailleuses bourdonnaient comme des guêpes, chantantes, énervantes et invisibles, ce qui les rend pour le soldat plus haïssables que l’obus, si brutal, mais moins fourbe, et qui laisse respirer jusqu’à ce que son pareil arrive. Tandis que ces petites balles, traîtresses et multiples, vous vibrent aux oreilles, frôlent le visage, filent tout autour de vous avec la chanson de l’air, qui lui-même en paraît blessé.

— Les carnes ! Les carnes ! Les charognes ! murmurait Gaspard.

Il se sentait les nerfs en pelote parmi cette sournoise décharge, qui le rasait et l’enveloppait.

Deux ou trois fois, il posa doucement Burette. Il fit une grimace en se tenant la fesse et il respira jusqu’au fond des poumons. Puis, vite, il le reprenait, disant :

— On avance, poteau, t’en fais pas… On va être dans l’ village et on va t’ guérir ça.