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chez eux, — l’été, vers deux heures, — lorsque la ville somnole et que les nuages glissent lentement, on aurait peine à croire que de A… il pût sortir un vrai régiment, solide et discipliné, qui marche en cadence, avec un bruit de baïonnettes et de souliers ferrés.

Et pourtant, ce miracle s’est accompli.

On vit d’abord les boutiquiers sur leurs portes. M.  Romarin, le coiffeur de la Grand’Rue, sortit le premier. Le bras en l’air, comme s’il agitait un drapeau, il fit signe à l’épicier, M.  Clopurte, qu’il partait. M.  Clopurte partait aussi, mais moins ardent que le coiffeur, il préféra se réserver. Sait-on jamais ? On venait de coller sur les murs une consolation du Président de la République : « Citoyens, la mobilisation n’est pas la guerre… »

— Non ! C’est histoire de secouer ses puces, dit avec un rire méchant le premier clerc d’avoué de Maître Farce qui, lui, semblait nerveux.

Il traversait la place d’Armes, sortant du Palais de Justice, et il venait de rencontrer M.  Fosse, le marchand de nouveautés.

— Ça vous sourit, à vous, d’aller vous faire estourbir ?

M.  Fosse, un peu pâle, avait la gorge sèche. Il balbutia :

— Dame, que voulez-vous…