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GASPARD

Suivi de Burette, il rattrapa Moreau :

— Entends-tu ces pieds-là, avec leurs sales moulins à café !

En effet, des mitrailleuses cachées on ne savait où, envoyaient une telle grêle de balles que l’air en semblait épaissi, et la mort, invisible, bourdonnait aux oreilles de ces hommes affolés, essoufflés, inutiles dans cette lutte affreusement inégale contre de l’artillerie prussienne. Gaspard s’en rendit compte. Il s’arrêta derrière une meule (sa musette le brûlait) et il dit à Burette :

— C’est l’abattoir ! Y a pus qu’à nous marquer avec el’ tampon à l’encre !

Il s’assit, découragé, laissant pendre les bras. Soudain, il sentit quelque chose de tiède sur sa main.

— Ah ! dis donc !…

C’était la chienne qui le léchait, la chienne noire aux mamelles pendantes, celle qui avait suivi le régiment, qu’il avait nourrie, qui s’était perdue, et qui se retrouvait en pleine bataille.

— Te v’là ma fille ? Comment, c’est toi ?

Il l’embrassa de toutes ses forces, et il retrouva du courage dans un besoin puéril mais touchant de se faire valoir aux yeux de cette bête. Elle le léchait si tendrement… Il la prit contre lui et il dit :

— Tu viens t’ battre ? Tu veux bouffer du