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GASPARD

— J’sais pas… À la jambe, oui, c’t à la jambe.

— Ben, te bile pas, mon gars : la jambe c’est rien ; on va t’arranger ça.

— As-tu à boire, Gaspard ?

— Mon pauv’ gars, j’ai un bidon sec comme les seins d’ ma belle-mère.

Mais Gaspard fouilla dans sa musette : il sortit d’abord te morceau de bœuf brûlant ; il le posa sur le blessé.

— Tiens voir ça une minute, et lâche-le pas… Burette, passe-z-y du sucre. Tu vois, Burette il a du sucre : c’t un bon copain… Et pis, v’là mon pansement. Y a d’ssus : « Pour la viande à Gaspard ! » Pleure pas… quoi, tu vas pas pleurer ; z’ont des jumelles, les cochons, ils t’ verraient.

Ils le virent à coup sûr, car Gaspard et Burette ne l’avaient pas quitté qu’un obus l’ouvrait en deux, horriblement. Ils ne le surent pas. Gaspard regardait devant lui, grondant tout seul : « C’t’ artillerie, c’te saleté d’artillerie, qui nous soutient même pas ! » Ses idées s’égaraient… Décidément, il ne comprenait rien à cette bataille cruelle, où on ne voyait toujours aucun ennemi, et où son régiment fondait sous un feu d’enfer. Pourquoi tout cela ? Qu’est-ce qu’on cherchait ? Mais alors, pour exprimer son dépit, il trouvait des mots comiques au milieu de ces horribles choses.