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GASPARD

— Moi, ça fait vingt minutes : ma toquante retarde.

Et il était ému aussi. Mais c’était plus fort que lui : il aurait trouvé lâche de le faire voir.

Le feu devenait épouvantable : des groupes d’hommes disparaissaient dans la fumée ; il y avait comme des éruptions de mottes et de pierres. Quelqu’un cria : il avait son compte. Deux autres, dix autres ; une dégringolade de soldats. Et certains, frappés à la tête, frappés au cœur, s’écroulaient en courant et s’écrasaient la face, comme si la mort, les empoignant aux épaules, les jetait à terre.

Égaré, Gaspard hurla :

— Sans blague ! Est-ce qu’ils nous prennent pour des quilles ?

Les rangs de la compagnie étaient rompus. Malgré son calme toujours splendide, le capitaine, dans ce vacarme effrayant et déraisonnable, ne réussissait plus à se faire entendre. Gaspard hésita. Pousser en avant ? Secourir les copains ?… Tant pis ! Il cria : « Burette, par ici ! » et il courut vers un pauvre gars qui l’appelait de tous ses poumons :

— Gaspard !… Gaspard ! toi qui sais y faire… sauve-moi !… Oh ! j’ souffre, Gaspard !

Il lui ouvrit sa capote :

— Où qu’ t’en as ?