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GASPARD

cendaient au-devant, de cette mitraille, souples, agiles, s’aplatissant, ressurgissant, animant tout ce coin de paysage, où le beau temps triomphait, des taches diaboliques de leurs pantalons rouges.

Ah ! ce beau temps, qu’il était beau !

Maintenant, grâce à lui, on distinguait les combattants. Maintenant, l’immense bataille était là tout entière visible, terrible sous le ciel serein, qui répandait sur elle toutes les joies inconscientes de sa clarté superbe. On eût dit vraiment que cette province lorraine voulait se montrer dans sa splendeur pour exciter les troupes : « Suis-je assez belle ? Ah ! sauvez-moi ! » Et c’était une journée d’été si rare, si puissante, si infinie, qu’il semblait que Dieu fût quelque part, tout près, dans le paysage.

Burette dit, bien ému, tirant la capote de Gaspard :

— Gaspard, restons ensemble ; ne nous quittons plus… à aucun prix !

Il répondit :

— Poteau, ça va ; mais y a mon bœuf qui m’ brûle la fesse.

— Gaspard, ce n’est pas le moment de rigoler.

— Oh ! on est d’ Pantruche ; on n’est pas d’ Pin-la-Garenne.

— Gaspard, il est trois heures : dans un quart d’heure nous serons peut-être morts.