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GASPARD

un bois. Pendant une minute, l’horreur de la guerre saisit de nouveau les âmes.

Mais… d’une levée de terre un lapin s’échappa, et il courait, bondissant de droite, bondissant de gauche. Les yeux le suivaient ; les bouches s’ouvrirent ; il y eut un remous dans chaque file ; la bataille devenait chasse, on allait s’élancer. Soudain, dans un boqueteau, le petit derrière blanc disparut. Alors, Gaspard essuya de son doigt la sueur de son front, puis il dit à Burette d’une voix douloureuse :

— Du lapin !… Ah, petit !… Un lapin… dans sa sauce !

Burette reprit :

— J’ai ma réserve de sucre… En veux-tu ?

— Passe toujours. Mais du sucre, ça va nous poisser. Pas une goutte ! Tiens, ça m’ plaît la guerre !

— Regarde, dit Burette, regarde devant nous…

Il montrait la plaine, une de ces plaines comme aimait en peindre Van der Meulen, avec un village tel qu’on en voit dans le coin de ses tableaux. Seulement le village grillait, n’était plus qu’un brasier énorme, avec une flamme plus haute où se consumait le clocher. Et dans la plaine les obus allemands arrivaient ainsi qu’une marée, avançant, balayant, couvrant le pays, tandis que par bonds, en tirailleurs, des régiments entiers des-