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GASPARD

Après le champ de betteraves, ils venaient d’entrer dans des blés, des blés superbes qui leur venaient aux épaules, de vrais blés de frontière pour faire crever d’envie les Allemands voisins. Parmi cette récolte trop poussée, restée debout, si belle et si riche, quelques obus encore s’effondraient, stupides, et il y avait des éclaboussements d’épis qui faisaient de l’or parmi la fumée.

Toutes les minutes, le capitaine continuait de siffler pour que ses hommes disparaissent, baissent la tête, bombent le dos, se couchent et se cachent.

Eh bien non, c’était fini. Tout ça, de la blague ! Eux maintenant, ils mangeaient ! Mais oui ! Ils prenaient les gerbes à pleins bras, comme on embrasse quelqu’un d’aimé, et leurs mains avides en arrachaient les grains, dont ils se bourraient la bouche, sans prendre le temps de les ébarber. Mâcher du blé cru, par une journée torride, quand on a son bidon sec, quel supplice nouveau ! Leur faim n’était que plus énervée. La soif les dévora, les enfiévra, les égara.

Le champ de blé magnifique finissait brusquement, et dans un dernier bond ils découvrirent la plaine et un village. Plaine immense, village en feu, toute la bataille avec des masses d’infanterie, des éclatements de mitraille et, en face, la rangée des feux de l’ennemi qui faisaient des éclairs dans