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GASPARD

leur ébranlait le cœur. Dans un pareil moment, — (un obus venait d’éclater à vingt-cinq mètres, terrible), — s’attacher encore à des niaiseries.

— Fixe !… Repos !… Fixe !

Les hommes s’exécutaient, scandalisés. D’une voix très sûre, il continua :

— Arme sur l’épaule… droite !

Et il recommença trois fois de suite.

Gaspard, même, ne comprenait plus. Il se sentait du dégoût. Et Burette, pris d’une sorte de terreur religieuse, regardait le ciel si bleu, qui lui paraissait plus immense encore que d’habitude. Son cœur battait à coups répétés et il n’avait plus la sensation nette de son corps. Il vivait le commencement d’un curieux cauchemar. Il écoutait venir les obus. Il se disait : « Va-t-on mourir ? Oui ? Non ? » Avec les camarades il baissait la tête, puis la voix grave et calme du capitaine recommençait :

— Présentez… armes !

Alors il faisait des mouvements secs. Et soudain, dans un silence de mort, où tous les hommes attendaient immobiles et raidis, — entre deux obus il entendit un frelon passer.

— Attention, dit Puche, nous allons partir. Nous avons un kilomètre et demi à faire sous le feu…

Le fracas d’un obus lui couvrit la parole, il reprit :