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GASPARD

Certains s’étaient aplatis, et ils demeuraient là, le dos rond sous leur sac, cachant leur figure dans l’herbe du fossé. — Puis, ils levèrent le nez ; ils regardaient la fumée de l’engin qui se dissipait lentement ; et leurs yeux terrifiés n’aperçurent plus que des lambeaux de chair, à la place de celui qui veillait sur la marmite. — C’était si affreux que Gaspard trembla.

Puis… comme cet obus n’était pas suivi d’un second, comme le silence était revenu (un merle sifflait), que la faim n’était pas partie, et que la soupe, par miracle intacte, fumait toujours, — le capitaine, d’une voix sourde, donna l’ordre de la prendre et de la porter cent mètres plus loin.

On trouva dedans trois morceaux de ferraille et un bouton qu’on se montra en hochant la tête. Soudain, Gaspard, qui avait les yeux humides, retira avec sa cuiller un cordonnet noir où pendait une médaille d’identité. On lut dessus : Courbecave, 1905. Pauvre diable, si fier de sa popote, il avait en mourant signé sa première et dernière soupe.

Puche, à ce moment, était descendu de sa meule. Il s’en venait vers ses hommes d’un petit pas de promenade, en se dandinant. Gaspard fit avec une mauvaise moue, — car il avait le cœur gonflé de colère :

— Mon capitaine, pourquoi qu’on nous a dit