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GASPARD

comme pour le voir, le petit maçon, seul de l’autre côté du chemin, préparait la soupe, qu’il remuait avec un bout de bois vert.

Il était touchant dans son application. Il mettait toute son âme à bien soigner ce manger, dont les copains regardaient avidement la vapeur. Car ces soldats, prêts à se battre, ne pensaient pas surtout : « Est-ce qu’on ne va pas mourir ?… » Ils se disaient d’abord ; « Est-ce qu’on aura le temps d’avaler quelque chose ? » Et on lui criait : « Ça biche ? » Et il répondait : « Ça colle ; ça commence à s’ tenir ! »

Maçon, n’est-ce pas, il aimait que ce fût gâché serré, nourrissant, profitant. On pouvait l’admirer.

Mais, pendant qu’on l’admirait… avec toute la force de l’égoïsme humain, il arriva que cette poignée de Français, même avant d’y avoir pensé, reçut le baptême du feu de la façon la plus soudaine et la plus horrible. Gaspard venait de s’éveiller. Il disait dans un grognement : « Va-t-on bientôt les faire valser, les Boches ? » Tout à coup, le ciel fut déchiré par un de ces sifflements que plusieurs générations garderont toute la vie dans l’oreille : un obus arrivait, le premier de tous. Un obus tomba, tonna, flamba, éclata… écrabouilla le petit cuistot.

La compagnie resta figée de peur et d’horreur.