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GASPARD

d’orgueil. Et on n’avait pas encore peur, quoiqu’on entendît les obus se rapprocher. — Le capitaine Puche, lui, les distinguait sur son observatoire, première vision du feu avant de le subir. Mais il ne s’en montrait pas plus étonné que du reste, et il était drôle, juché sur la paille, avec sa figure ronde et calme, son nez plat sans curiosité, ses yeux petits qui ignoraient l’éblouissement, sa bouche régulière d’où ne devait jamais sortir un seul cri affolé. Il apercevait là-bas, à un kilomètre, les grosses fumées blanches des obus allemands, et il avait du sérieux, non le sérieux ému d’un homme qui se livre à un destin nouveau, mais le sérieux correct d’un chef loyal qui a promis de bien faire le travail annoncé. Il dit d’une voix paisible, pour n’effrayer personne :

— Qu’on se dépêche, si on veut manger, avant de se battre.

Car d’une minute à l’autre on pouvait recevoir un ordre. L’ennemi élargissait son tir, et Puche voyait dans sa jumelle des régiments français qui s’avançaient déjà sous le feu.

Lui, avec sa compagnie, devait attendre qu’on demandât du renfort.

Sac au dos, fusil entre les jambes, les hommes étaient assis derrière sa meule, le long d’un talus de route, et devant eux qui s’étaient alignés