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GASPARD

naire de son prédécesseur, mais qui, secrètement, convoitait cette fonction à la fois honorable et périlleuse. L’amour-propre le tenait. Sans phrases, il avait confié à deux ou trois :

Moi, j’sais faire les frites… des belles frites… Moi, quand c’est qu’ j’ai un morceau d’ viande, j’ le mijote, j’ le cochonne pas.

Il n’avait que de la viande, pas de patates. Il fit la soupe, en vidant dans la marmite son fond de musette ; quelques carottes, des navets, trois oignons qui s’étaient collés à du chocolat fondu. Un camarade, en retournant une poche, trouva deux pommes de terre écrasées qu’il ajouta, et Courbecave se tira de cette infortune en taillant par-dessus son bœuf, dans l’eau qui bouillait, deux à trois livres de boule.

— J’ vas vous fabriquer une panade au jus d’ viande, m’en direz des nouvelles.

D’avance, au nez de Gaspard qui paraissait dormir, on l’accabla de louanges :

— Ah ! ça, c’est cuisiné ! Ça, ça calera les joues !

Le plus courtisan de ces courtisans proposa même :

— Faut faire goûter au capiston…

On l’appela. Il dit du haut de sa meule :

— C’est un régal rien qu’à la vue ! Mais gare ! Si les Boches voient ça dans leurs lorgnettes…

On rit. Le petit cuisinier dressait la tête, pâle