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GASPARD

plus seul dans cette marche en avant. À travers champs, et sur des routes parallèles, marquées dans le paysage par leurs files d’arbres droites, d’autres troupes avançaient, dont les colonnes, de loin, semblaient minuscules, mais qui, grossissant, se rapprochaient, et à qui l’on se mêlait, dans un flot de poussière, au premier carrefour. — Avec l’aube, plus de blessés. Le soleil montait, face aux hommes. On marchait vers l’Est, droit sur lui, et il semblait que la nuit, derrière s’enfuyait, poussant avec précipitation devant elle les horribles convois des malheureux de la veille. On était dégagé. On respirait. On se sentait troupe neuve et forte. On s’en allait vers le Destin, et il paraissait devoir être la victoire plutôt que le massacre.

Pourtant, le cœur des plus braves fut remis à l’épreuve tout de suite, car le régiment déboucha dans un vaste champ défriché, pris entre deux bois, où deux cents des nôtres, trois jours avant, s’étaient fait surprendre et tuer jusqu’au dernier, par une division de uhlans éclaireurs, tombés là en trombe, avec lances et revolvers. Les Français avaient bien tenté de se défendre, de se retrancher, de se blottir, pour faire feu derrière les sillons, où l’on voyait encore l’empreinte d’une lutte épouvantable, qui avait bouleversé la terre. Des creux faits par des pieds obstinés qui s’en-