Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/108

Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
GASPARD

m’ai crevé pour eux. Les bêtes brutes ! Jusqu’à hier, pour bouffer, ils m’ passaient d’ la pommade, à croire qu’ils étaient dans la parfumerie. Maintenant, comme ça sent l’ brûlé, et qu’ s’agit pus d’avaler des pruneaux mais d’en r’cevoir, ils m’ tombent su l’ poil ! J’ te dis… des dégoûtants ! Aussi, t’occupe pas : s’ils ont pus qu’ moi pour leur croustaille, c’est pas ça qu’engraissera leurs tripes… Tiens, on fout le camp : ça m’ plaît. On va s’ battre : ça m’ dit. Il va en clamecer la moitié : j’ rigole !

C’est Burette qui se mit à rire.

— Tu feras la cuisine pour nous deux. Je te prends comme chef ; seulement, distingue-toi ! J’ai envie, aujourd’hui, d’un vol-au-vent avec un vin de Bordeaux.

— Oh ! ça va, quoi, charge pas !

— Un bon petit vin qui ravigote.

— C’est vrai, si encore on s’ baladerait, mains dans les poches, avec son flingue, comme à la chasse, mais tout c’ bazar… d’ quoi qu’on a l’air ?… Qu’est-ce qu’on est ?… Des hommes prostitués, des moins que rien, d’ la viande à tuer !… et y a trois mois on a élu des députés !

Le jour se levait ; l’horizon devenait gris ; les hommes, entre eux, commençaient à distinguer leurs visages livides. Et soudain, la campagne s’éclairant, le régiment s’aperçut qu’il n’était