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GASPARD

montèrent. On entendit distinctement : « C’est d’ la cuistance ed sale gargote ! » Personne ne répliqua. Une autre voix de lancer : « On peut pas marcher. On a la panse pleine d’eau, comme des pompes d’incendie. » Silence. Une mâchoire mastiquait.

— Qui c’est qui bouffe, là-nedans ?

— Moi, Courbecave. J’ finis ma boule. C’est bien plusse bon.

Gaspard, très digne, ne bronchait pas ; mais il était amer, comprenant qu’après cette manifestation nocturne et dérobée, — la seule que les plus audacieux poilus aient le courage de faire contre leur cuistot — il n’aurait jamais le cœur, lui, le jour revenu, de faire bouillir de l’eau et d’éplucher des oignons. La moitié de son pouvoir, subitement, s’écroulait.

Trop las ou trop fier pour avouer son dépit devant tous, il se confia seulement à Burette, pour qui il se sentait une amitié canine. Burette, c’était le copain « qui sait causer, qu’a de l’estruction, et qui l’ fait pas à la pose. » Gaspard, quand il songeait à son affection pour Burette, pensait un peu des autres, ses semblables, même de Moreau : « Ceux-là à côté, crotte de bique ! » Il n’eut donc pas honte de dire à Burette, d’une voix lente, avec un dédain réfléchi :

— Tout ça, c’est des dégoûtants !… Et moi qui