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GASPARD

membres ou bien des fronts. Certains entassés sur des charrettes dont les roues criaient, et les chevaux hennissaient. Et les autres s’en venaient par tas, comme s’ils se soutenaient entre eux, puis ils s’empêtraient sur la route dans ce régiment intact, qui courait prendre leur place devant l’ennemi. Des bouches douloureuses geignaient : « C’est-il loin… qu’y a un patelin ?… »

Gaspard répondait :

— Vous arrivez ! Vous en faites pas !

Et il questionnait à son tour, par phrases hachées :

— D’où qu’ vous venez ? D’où qu’ vous êtes ?…Qui qui vous a éreintés comme ça ?

Les autres, fantômes dans l’ombre, criaient :

« On r’vient pas la moitié !… Vengez-nous, les gars !… On a pris la pilule. »

Moreau disait, découragé :

— Alors, on est foutus ?

— Idiot, reprenait Gaspard, t’as pas entendu l’ piston ! Leurs obus ils éclatent pas.

— Non, tiens, demande-leur.

Il criait à son tour :

— Eh ! les poteaux, leurs obus ils éclatent ?

On ne lui répondait plus. On entendait passer que des plaintes et toujours : « Un patelin… y a-t-il bientôt un patelin ? »

Romarin, le jeune coiffeur illuminé, répliquait,