Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il paraît qu’avec ma sœur il a été gentil, galant, ainsi qu’il a l’habitude d’être, et d’une attention qui est celle de sa nature, à qui rien n’échappe, pas plus la ligne et l’étoffe de la robe que le grain de la peau, que le son des phrases. Il devine à la fois le charme, le rythme, les tares, les dons, les limites d’un être, et le dosage plus ou moins heureux de matière et d’esprit. Que pouvait-il pour elle ? Lui ordonner de l’aspirine, des bains prolongés, du blanc de poulet. C’est ce qu’il fit, en entourant l’ordonnance de propos trop simples pour la contenter.

— Ce n’est pas commode, madame, lui confia-t-il doucement, d’être médecin… et d’aimer la vérité ! Qui voit-on ? Des malades qui viennent pour qu’on leur dise : « Vous n’avez rien ! » Des gens qui n’ont rien, mais veulent qu’on leur dise… « Eh la ! Vous êtes malades ! »

Ma sœur a répondu, mélancolique :

— Je crois vous comprendre, docteur. C’est que je n’ai rien, et je suis…

— Pardon ! dit Le Héros. Pour vous, madame, c’est un cas un peu particulier !

Jusqu’à quel point le pensait-il ? Elle descendit son escalier avec moins de courage qu’elle n’avait en le montant. Il s’était montré patient, secourable, clairvoyant, plein d’esprit. Elle était déçue, et se sentait perdue parmi ses maux.