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Ce n’est peut-être pas galant d’insister sur ces misères ; mais parmi de tels dangers, peut-il s’agir de galanterie ? D’ailleurs, pourquoi toujours flatter les jeunes, le peuple, les femmes ? Les jeunes sont charmants, mais ne savent rien. Le peuple est touchant, quand il n’est pas odieux. Les femmes… sont si faibles !

Si elles ne l’étaient pas, il y a longtemps qu’elles feraient la guerre. Elles sont faites pour la paix… à condition qu’elles restent à leur place. Demandez donc à ma sœur où est sa place ?

Deux fois veuve ! Évidemment c’est trop. Avant la guerre, un voile recouvrait les veuves, et sous ce voile, sans bouger, elles mettaient trente ans à mourir. Plus de voile, maintenant. À visage découvert, elles tiennent tête à la société, au Code, aux hommes.

Ma sœur a deux filles. Le jour où elle a perdu son second mari, elle s’est écriée :

— J’ai pensé mourir aussi. Je n’en avais pas le droit ! Je me dois à mes chéries !

Elle s’est levée, et a commencé une carrière.

Je ne sais si vous avez rencontré ma sœur. Physiquement, c’est un échassier. Quand elle était toute jeune fille, on la voyait grandir à vue d’œil, mais elle avait l’air de s’élancer, et c’était charmant cet élan de la jeunesse. Ah ! comme j’étais fier d’elle !