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Ils y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. Elle sert à afficher leur libéralisme, leur sagesse, l’horreur de la violence. C’est :

— Toutes les idées sont respectables.

Juste ciel ! Elles sont presque toutes absurdes ou criminelles. Les idées ne devraient être maniées que par des êtres subtils et sensibles. Comme les explosifs. Répandre des idées, c’est détruire le bon sens, l’instinct, la conscience, tous les dons humains. Se livrer aux idées, c’est risquer la peste et les contagions ! Pauvre race, qu’un goût indiscret de juger a jeté dans le désordre et dans une sorte de fornication de l’esprit, où le cœur reste égaré !

Tout n’est pas perdu, puisque cette aristocratie finie est capable de faire des héros, que cette bourgeoisie bornée peut donner de grands esprits, que ce peuple, malgré son délire, offrira demain, après-demain, un homme simple, sain, riche d’audace, et on le sent quand on est près des Halles, où les travailleurs s’aigrissent rarement, parce qu’ils sont en rapport avec les biens terrestres, nature et vérité. (Contre cent quincailliers neurasthéniques, y a-t-il un charcutier jaloux ?) Mais ce qu’il faut d’abord, ce sont des assemblées à huis clos, des journaux paraissant en blanc, une diplomatie secrète ; d’abord une cure de silence et de modestie !