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qu’en France ! Pays de ressources inouïes ! On croit tout perdu, parce qu’on croit tout prévoir. Mais il y a l’imprévu, le miracle, la grâce, qui sort de ces intelligences magnifiques qu’on trouve dans le peuple !

— Surtout dans le peuple ! reprit M. Seigneur.

— Allez tranquillement enterrer votre belle-mère, lui dis-je, vous n’avez rien à craindre !

M. Seigneur me regarda avec beaucoup d’amitié.

— Où allez-vous déjeuner, mon pauvre Monsieur ? me dit-il.

— Dans le premier bar venu, lui répondis-je. Et je vais causer. Je vais tâter l’opinion. Je veux voir ce qu’on pense de cette grève… Quand on se sent des idées un peu plus saines que la majorité des gens, il me semble qu’on a un devoir, — et c’est de causer !

— Mais, bien sûr, dit M. Seigneur, qui cette fois m’écoutait.

— Malheureusement, repris-je, ils sont trop. Nous ne sommes pas assez. N’importe, faisons l’impossible !

M. Seigneur approuva, et nous nous séparâmes. Il allait à ses tristes obligations de famille. Moi, je restai sur mes réflexions.

Je me demandai si en faisant « table rase », je n’avais pas versé dans l’anarchie.