Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un autre genre de misère. Nos parents ont tout manqué ! »

— Tout manqué ! Ah ! n’importe, fit M. Seigneur, ils étaient heureux !

— Dites, repris-je, qu’ils étaient inconscients !

Je tenais à mon idée ; je ne lui en fis pas grâce. Je voulais bien reconnaître les bonnes intentions, mais toutes avaient raté.

— Monsieur Seigneur, lui dis-je, la bourgeoisie a d’abord cru au patriotisme : elle l’a raté avec Boulanger ! Elle a cru ensuite à la poésie : les Russes, n’est-ce pas, ou le mirage oriental ! L’Alliance russe combla les cœurs romanesques ; on acclama l’amiral Avellan… et il remporta tout ce qu’on avait d’économies : la poésie était ratée ! Restait la vérité : l’affaire Dreyfus fut l’occasion d’y croire. Quel drame ! Avec quel échec ! Alors les Français se dirent : « Si on s’adonnait aux Beaux-Arts ? » Ils firent l’Exposition de 1900 ! Quand on la ferma, il ne restait plus que l’impossibilité d’avoir aucune espèce de foi. Pardon, il y avait Dieu ! Dans leurs couvents les moines le suppliaient d’améliorer la société. De quoi se mêlaient-ils ? La société chassa les moines. Ce fut la dernière gloire, disons le dernier malheur de nos parents ! lui affirmai-je en conclusion.

— Bien sûr ! fit M. Seigneur.

Il n’avait rien entendu, comme les gens