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sieur, — il est à la tête des grévistes ! Je ne le reconnaissais pas, ce matin. Je lui ai dit : « Ce n’est pas vous, c’est impossible ! On vous a fait boire quelque chose ! » Il me regardait sans répondre avec des yeux stupides… et menaçants.

M. Seigneur se laissa tomber dans un fauteuil.

— On a tout tué chez les Français ! soupira-t-il. Ils ont perdu le respect, la pudeur, l’honnêteté. Ils n’ont plus que du cynisme !

J’étais atterré. L’Anglais restait impassible : je crois qu’il essayait de reconstituer son rêve. M. Seigneur ne s’adressa plus qu’à moi.

Il se mit à évoquer des souvenirs de jeunesse : il avait senti une vraie vocation ! C’était dans sa nature de recevoir, de faire plaisir. On peut faire payer les gens, m’expliquait-il, et pratiquer l’hospitalité.

— Enfin, concluait-il un peu solennel, je comprenais, monsieur, la vie à la française. C’est une expression qui n’a plus de sens !

L’Anglais venait de sortir. J’essayai de faire comprendre à M. Seigneur que je partageais sa tristesse. Mais il me réédita la phrase : « Avant la guerre, nous ne connaissions pas notre bonheur ! » Il y a de ces formules qui me hérissent. Je répliquai : « C’était