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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

ton ambition ? Mais quand on te demande ce que fut saint Vincent de Paul, est-ce que tu dis : « Ce fut un monsieur ? »

— Oh !… fit Thierry, je ne peux pas devenir un saint Vincent de Paul !

— Pourquoi ? lui dis-je. Cela me ferait plaisir.

Thierry baissa le nez dans sa valise.

Et je m’écriai :

— Moi, j’ai envie de réussir avec toi quelque chose d’extraordinaire. Seulement, il faut m’aider !

— Bien, papa ! me dit sérieusement Thierry.

— Tu arrives, mon petit, à un moment où dans ce pays il faut tout réformer : comprends-tu cela : les mœurs, les institutions, le cerveau des hommes ?… La France était une nation privilégiée, qui avec le vin avait une spécialité magnifique : l’esprit. Elle s’est laissé envahir, entamer par l’étranger. Elle a eu peur d’être en retard ; elle a copié les autres ; elle a perdu ce qu’elle avait de mieux ; il faut qu’elle le retrouve ! Et elle peut le retrouver, si elle retrouve son rôle, qui est un rôle d’honneur d’abord, d’idéal aussi, de charité enfin.

J’ai bien regardé l’enfant sur ces trois mots, parce que je me rappelais : « Papa, j’ai parié trois mille francs : je les paierai ! » (l’honneur) — la photographie du pigeon (l’idéal) — la confiance en la vie devant cette